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Tokyo 2020 : “Le sport peut contribuer à la sortie de crise”

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22 July 2021, modified on 12 December 2024

Jeux olympiques de Tokyo 2020

Pierre-Olivier Beckers, président du Comité Olympique et Interfédéral Belge (COIB) et diplômé UCLouvain de la Louvain School of Management (LSM), nous livre son analyse quant à l’évolution du sport en Belgique ces dernières années. Depuis sa place stratégique pour observer les performances des athlètes belges, il se montre très optimiste sur leurs chances de victoires aux Jeux olympiques de Tokyo 2020.

Avez-vous remarqué une évolution dans la pratique du sport en Belgique ces dernières années ?
J’ai pu observer - et avec un peu d’espoir pu contribuer avec plein d’autres - l’évolution de la pratique du sport ces dernières années. Nous avons la conviction au COIB que c’est par le rayonnement, l’exemple et le modèle que peuvent apporter les athlètes de haut niveau et les performances qu’ils ou qu’elles réalisent, que l'on parvient à convaincre la population de faire du sport pour tous et d’essayer d’améliorer leur santé et leur équilibre physique et mental.

À l'époque, on considérait encore le sport comme une activité qui était réservée à celles et ceux qui n’avaient sans doute pas de compétences pour faire autre chose.

Mais la réalité est qu’au cours de mes 17 ans passés au COIB, j’ai pu voir une évolution marquante d'une certaine culture sportive et d’un respect de la culture sportive dans notre pays. Ce qui n’était pas le cas dans le tournant du 20e vers le 21e siècle.

À l'époque, on considérait encore le sport comme une activité qui était réservée à celles et ceux qui n’avaient sans doute pas de compétences pour faire autre chose. Au niveau politique, on n’y mettait pas beaucoup de moyens. Et il n'y avait, en particulier du côté francophone du pays, aucune volonté de soutenir les performances de haut niveau parce qu’on les considérait comme de l’élitisme. À l’époque, l’élitisme était considéré comme quelque chose de mauvais, à bannir au profit d’une collectivité qui malheureusement s’exprimait souvent par un nivellement par le bas, plutôt que par la solidarité qui est évidemment une magnifique valeur et qui est mieux mise en avant aujourd'hui.

Nous avons pu réaliser au COIB un magnifique travail avec les administrations des sports de nos 3 Communautés belges et avec les ministres des sports successifs qui ont pris conscience au fur et à mesure de ce que le sport pouvait apporter en termes de volonté de gagner, d’aller de l’avant et de pouvoir créer un meilleur équilibre physique et mental chez nos jeunes. Il y a eu un soutien, financier et de ressources humaines, pour développer le sport.

Différentes initiatives ont été mises en place. Dès 2006, une initiative appelée Be Gold a été mise en place par les 3 Communautés, le COIB et la Loterie Nationale pour détecter et accompagner des jeunes talents sportifs. Avec un objectif de les amener aux Jeux olympiques 8 ans plus tard. Et à Rio déjà, 60% de la Team Belgium et 2 médailles ont été issus de cette initiative.

Ce genre d'initiative avec des moyens derrière et une volonté d’améliorer les performances, ont porté leurs fruits. Et au travers de cela, le sport pour tous s’est développé. J’en prends pour preuve et exemple le hockey sur gazon qui était un sport secondaire il y a 20 ans et qui aujourd’hui non seulement a produit une équipe masculine championne du monde et d’Europe et qui espère aller chercher la médaille d'or à Tokyo, mais également une équipe féminine qui a gagné la médaille de bronze aux derniers championnats d’Europe. Et tout un sport qui a explosé et qui touche tous les jeunes du pays, aussi bien au nord qu’au sud.

Il y a eu un changement fondamental, avec à la clé une valeur positive liée au sport et à la performance.

La crise sanitaire a-t-elle changé la place du sport dans la société ?
Oui bien sûr. Il y a 2 raisons à cela. D’abord parce que, pendant quasiment 18 mois, la plupart des jeunes n’ont plus pu pratiquer de sport. Ils se sont retrouvés isolés chez eux devant des écrans. Il y a donc eu une forte diminution de la pratique sportive. Et au-delà de ça, une diminution forte de l’inclusion et de l'équilibre social. Les jeunes ne se sont plus vus, la crainte de l’autre a fortement augmenté. Et donc un sentiment d’exclusion, de ne plus faire partie d’un groupe, d’une tribu. Le côté indispensable de rouvrir les terrains, les piscines et les clubs de sport se fait sentir plus que jamais pour permettre aux jeunes d’une part de bouger et de retrouver un meilleur équilibre physique, mais également parce qu’il y a tout un enjeu social fondamental à la clé. Les jeunes qui sont en recherche de points de repère peuvent utiliser le sport.

Également, de manière plus générale pour les jeunes et moins jeunes, pour les Belges et au niveau international, il est fondamental de retrouver les valeurs de respect, de solidarité et d'inclusion qui sont les valeurs humaines les plus fondamentales et qui transpirent au travers du sport. Je le dis avec d’autant plus de certitudes que les Nations Unies mais également le G20, ont confirmé par des rapports écrits que le sport était un élément essentiel dans la reconstruction du monde de demain et dans la sortie de la crise sanitaire.

Il y a aujourd’hui une prise de conscience que le sport, de manière très positive, peut contribuer à la sortie de crise et surtout à une nouvelle ouverture et un respect entre les personnes et entre les peuples.

Derrière ce qui a pu être, dans certains pays pendant des dizaines d’années, une volonté très vague et basique de la pratique du sport ou dans d’autres pays, une volonté de récupérer ou d’utiliser le sport de manière négative pour mettre en avant la puissance et la force d’un pays et de son dictateur, il y a aujourd’hui une prise de conscience que le sport, de manière très positive, peut contribuer à la sortie de crise et surtout à une nouvelle ouverture et un respect entre les personnes et entre les peuples.

Quelle est votre analyse sur les chances de nos athlètes belges à Tokyo ?
Je peux vous dire qu’on a de grandes chances de performances. Si on regarde la performance des athlètes de Team Belgium dans les différents sports depuis 2012, si on prend le nombre de médailles ou le nombre de places de finalistes, on a vu une progression constante et importante. Au point où un organisme d’importance mondiale appelé Gracenote, et qui joue le pronostiqueur expert des chances de performances et de médailles des différents pays, ne s’y est pas trompé. Il y a encore 10-12 ans, Gracenote prédisait que la Belgique allait gagner 1 à 2 médailles et ferait quelques places de finalistes. Aujourd’hui, Gracenote voit une possibilité de faire 21 places de finalistes, ce qui serait la plus grosse performance de notre équipe olympique depuis 1948, et voit aussi la possibilité de faire entre 6 et 8 médailles.

Nous en avions fait 6 à Rio. Cet organisme pense que nous pouvons faire plus et je le crois également parce que nous avons de très gros performeurs. Il suffit de penser à Nafissatou Thiam en heptathlon, à nos Red Lions (hockey) ou à Nina Derwael qui est double championne du monde au barres asymétriques en gymnastique, et à bien d’autres en judo, en voile ou en cyclisme.

Ceci étant dit, deux éléments qui peuvent venir battre les cartes et perturber tout cela.

Il y a un tas d'inconnues qui me rendent la tâche difficile pour pronostiquer nos chances mais la vérité est qu’il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup de talents et de performances démontrées qui devraient nous sortir quand même quelques médailles !

D’une manière générale et statistique, on constate qu’il faut avoir 3 vraies chances de médaille pour qu’il y en ait une qui sorte. Exemples : jusqu’en 2016 nous avions une athlète en voile, Evi Van Acker, qui est arrivée à Rio n°1 mondiale et tout le monde prédisait qu’elle allait avoir la médaille d’or. Le problème c’est qu’elle a eu une intoxication à cause de la qualité de l’eau dans la baie de Rio et pendant 2 jours elle a été incapable de performer. À cause de ça elle est arrivée quatrième. On avait en judo une jeune femme comme Charline Van Snick qui arrivait à Rio avec, de l’avis de tout le monde, une très grande chance de médaille, et qui, sur une erreur d’inattention, est sortie tout de suite du tournoi. Il faut donc garder la tête bien sur les épaules.

Deuxième élément à signaler, très spécifique à Tokyo 2020, c’est évidemment les conséquences de la crise du coronavirus. Et là, personne ne peut vraiment estimer ce qui va se passer. D’abord, parce qu’il y a des pays qui depuis plus d’un an ont été quasiment enfermés chez eux. Un tout gros pays sportif, l’Australie, qui est un producteur de médailles incroyable, n’a plus aucun athlète dans aucun sport qui a fait une compétition depuis 1 an. Comment peuvent-ils continuer à s’élever ? C’est une inconnue et un grand nombre de pays sont dans ce cas.

Il y aura d’autres pays qui auront des athlètes qui seront testés positifs et qui ne pourront malheureusement pas participer à leurs compétitions. Il y a, enfin, tous les athlètes qui vont devoir faire face au fait que les Jeux vont se dérouler sans aucun spectateur ni accompagnement familial. Aucun athlète ne sera entouré de ses parents, de ses frères et sœurs, de son mari, de son épouse… Et ça peut changer la donne. D’être bien seul, même si on est au village olympique avec le reste de l’équipe, peut avoir pour certains des conséquences totalement non matérielles et d’autres qui s’écroulent parce que s’ils n’ont pas leurs supports, leurs accompagnants habituels, ils ne se retrouveront pas dans la meilleure des situations.

Il y a un tas d'inconnues qui me rendent la tâche difficile pour pronostiquer nos chances mais la vérité est qu’il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup de talents et de performances démontrées qui devraient nous sortir quand même quelques médailles !

Qui est Pierre-Olivier Beckers ?

Pierre-Olivier Beckers est diplômé UCLouvain en 1981.

Je suis passé par ce qui était à l’époque l’Institut d'Administration et de Gestion (IAG) et qui s’appelle aujourd’hui la Louvain School of Management (LSM).

J’ai été pendant une très grande partie de ma vie professionnelle le patron du groupe Delhaize, où je suis passé par toutes les étapes puisque je suis resté dans le groupe pendant 32 ans.

Depuis 2013 j'ai diverses activités avec un bénévolat important. J'ai des fonctions au sein du mouvement olympique. En Belgique, je suis président du Comité Olympique et Interfédéral Belge (COIB) depuis 2004. Mon mandat se termine d’ailleurs après ces Jeux olympiques et paralympiques le 10 septembre. J’assume également différentes fonctions au sein du Comité International Olympique (CIO) comme la présidence du comité d’audit et la présidence de la commission de coordination des Jeux de Paris 2024.

À côté de cela, je suis également administrateur dans des sociétés. Je suis aussi coach et investisseur de start-up et à ce titre j’accompagne environ une dizaine jeunes entreprises et j’essaie de les aider à réaliser leurs rêves.

Voilà mes occupations en dehors d’être marié, père et grand-père !

Qu’est-ce qui vous a marqué durant votre passage à l'UCLouvain ?

Plusieurs choses ! Mais un fil rouge qui m’a marqué et qui a continué à m’interpeller - et à m'appeler, peut-être - quand j’ai accepté il y a quelques années de prendre la présidence de l'Advisory Board de la LSM : la présence de valeurs. Des valeurs humaines, de solidarité, de respect et d’engagement. Cela m'avait déjà marqué à l’époque où j’étais étudiant. Il y avait quelque chose qui était fort et qui se manifestait à travers la vie quotidienne à l’université.

Autre chose, c’est la différence entre les candidatures et mon passage en licence. Avec beaucoup de frustration pour moi pendant mes candidatures parce que j’avais le sentiment que c’était le prolongement des humanités. Et d’un coup, mon passage en licence à l’IAG (ndlr : aujourd'hui la LSM) m’a donné l'occasion de tomber dans un environnement beaucoup plus pratique avec des professeurs qui étaient aussi, soit des dirigeants d’entreprise, soit des professeurs beaucoup plus en ligne avec les matières dont nous aurions besoin très vite après. Ça m'a passionné. Ça m'a convaincu que je devais prolonger cette expérience d’apprentissage qui m’a amenée 4 ans plus tard à faire un MBA.